CANADA - Cadre naturel

CANADA - Cadre naturel
CANADA - Cadre naturel

Sans aucun doute, la première image que l’on a, lorsqu’on évoque le milieu canadien, est celle d’un climat rude: ce pays n’a-t-il pas été comparé à l’empire du froid? Cependant, la rudesse bien connue des hivers longs aux températures si basses ne saurait faire oublier la légendaire douceur de l’indian summer ni l’agréable tiédeur des confins du Puget Sound. En outre, le relief est loin d’être un élément secondaire, même si c’est à grande échelle qu’il faut l’appréhender.

1. Quatre ensembles du relief bien distincts

À première vue, le relief canadien semble d’une étonnante simplicité; on en arrive même à imaginer qu’il n’est que le prolongement nordique du triptyque étatsunien associant Appalaches, plaines centrales et montagnes de l’Ouest. La réalité est différente, à deux titres: d’une part, si l’on retrouve bien les trois subdivisions précitées, force est de constater que leur présence au Canada est passablement modifiée; d’autre part s’ajoute un quatrième élément qui singularise tout à fait le Canada par rapport à son voisin: le bouclier.

À l’ouest, le système cordilléran est beaucoup plus resserré qu’aux États-Unis. Les montagnes Rocheuses, qui, contrairement à ce que l’on entend souvent, ne sont que l’axe des hauts sommets le plus à l’est, surgissent brutalement au-dessus des collines de piedmont (Foothills) et culminent à 3 954 mètres au mont Robson. Formées par une succession d’écailles développées dans des sédiments secondaires alternativement durs et tendres, ces montagnes se prêtent à une morphologie structurale exemplaire autant qu’élémentaire tant la nature et la disposition des couches sont faciles à percevoir dans le paysage: aux alentours du lac Spray, le profil transversal rappelle à s’y méprendre le toit à sheds d’une usine du siècle dernier. Sur 1 700 mètres de hauteur, le millefeuille stratigraphique du mont Robson n’a d’égal que la paroi nord de l’Eiger. Et, à quelques kilomètres de Banff, la pyramide calcaire du mont Assiniboine vaut à ce dernier le surnom de Matterhorn of the Rockies tant on pourrait s’imaginer au pied du célébrissime Cervin!

Vers l’ouest, les montagnes Rocheuses s’interrompent tout aussi nettement qu’elles apparaissent au-dessus des Prairies: un long et profond sillon (Rocky Mountain Trench), au deuxième rang mondial après le rift est-africain pour la longueur et la continuité, sépare sans transition le bourrelet montagneux des hauts plateaux intérieurs. Ceux-là, moins élevés et un peu plus monotones, doivent l’aération de leur relief aux langues glaciaires dévalant des Rocheuses à l’ère quaternaire, qui ont achevé d’établir le réseau hydrographique du Fraser, contribuant ainsi à la mise en place des axes de communication contemporains. Plus à l’ouest, un nouveau bourrelet de hautes montagnes correspond au système des chaînes pacifiques. À lui les plus hautes altitudes puisque, dans l’angle sud-ouest du territoire du Yukon, aux confins de l’Alaska, le mont Logan (6 050 m) est le point culminant de tout le Canada. À lui également les paysages littoraux les plus spectaculaires qui voient la montagne dégringoler dans le Pacifique et l’océan pousser ses tentacules par des fjords aux parois vertigineuses (Squamish). Les ultimes chaînons côtiers, continus aux États-Unis, ne se manifestent plus que fragmentés, représentés par des îles (Vancouver) ou un archipel (Reine-Charlotte).

Tant dans les Rocheuses que dans les chaînes pacifiques, la parure des glaciers illumine encore fortement la montagne, bien qu’elle ne soit qu’un pâle reflet des grandes glaciations du Quaternaire. Le glacier de Columbia dans les Rocheuses, avec ses sept langues s’écoulant à partir de la calotte centrale, illustre en miniature les vastes inlandsis qui ont enseveli à quatre reprises la quasi-totalité du sol canadien.

Les Prairies, inscrites géologiquement entre le bouclier et le système montagneux occidental, sont assimilées aux plaines de l’intérieur. Immense corridor s’ouvrant vers l’océan Arctique grâce au bassin hydrographique du Mackenzie, ce monde de croupes et d’incommensurables étendues horizontales n’est interrompu dans sa monotonie que tout au sud par les Cypress Hills. Contrairement à ce que l’on imagine, la monotonie n’y existe pas partout, à condition de tenir compte, ici encore, des distances dont l’unité est la centaine de kilomètres. Imperceptible mais pourtant réel, un gigantesque glacis occupe la moitié de l’Alberta en direction des Rocheuses: c’est ce plan incliné qui vaut à Calgary d’être à plus de 1 000 mètres d’altitude. À l’est, une bonne partie du Manitoba est parcourue par un escarpement structural, permettant d’opposer « montagne » et « plaine » même si la dénivellation n’atteint que 50 mètres au maximum dans les environs de Baldur ou Notre-Dame-de-Lourdes. La platitude générale de Manitoba, associée à une forte épaisseur de sols argileux, entraîne une plus forte densité de lacs, dont certains de grande superficie (lac Winnipeg).

Le bouclier, auquel l’usage associe le qualificatif de « canadien », est incontestablement l’aire la plus originale dans le relief du pays. Il s’agit du plus vaste ensemble géomorphologique que l’on connaisse au monde, sur une étendue voisine de la moitié du Canada. Recouvrant, schématiquement, une étendue quasi circulaire ayant pour centre la baie d’Hudson, il pèse par son ampleur et impressionne par la répétition des mêmes paysages sur des centaines de kilomètres. Formé de terrains précambriens, uniquement recouverts de quelques strates primaires au sud et à l’est de la baie de James, le bouclier apparaît déprimé en son centre et relevé sur ses marges, surtout à l’est et au sud où se rencontrent les « hautes terres » des Laurentides, du Labrador et de l’île de Baffin. L’image stéréotypée de l’immense et morne pénéplaine polie par les glaciers, criblée de lacs et uniformément recouverte par la forêt boréale s’observe avant tout dans le large demi-cercle allant du Grand Lac des Esclaves au Labrador. Le bouclier est un monde en soi, relativement austère et surtout très peu occupé par l’homme. Cependant, son apparente stérilité en surface est largement compensée par les richesses qu’il recèle en profondeur: on a ici la plus vaste réserve minérale de la planète.

Les basses terres laurentiennes et les « Maritimes » constituent le quatrième ensemble du relief du Canada. Se juxtaposent l’ample corridor du Saint-Laurent, d’orientation sud-ouest-nord-est où le remblaiement alluvial et le développement de terrasses fluvio-glaciaires garantissent de bons sols que concrétise l’essor de l’agriculture, et, plus à l’est, de Terre-Neuve au sud du Nouveau-Brunswick, la portion extrême du système montagneux appalachien, dont les formes morphologiques sont passablement émoussées du fait de l’abrasion glaciaire quaternaire. Le littoral combine fjords et plaines de niveau de base, ces dernières trouvant leur expression la plus nette dans la baie de Fundy, où le marnage est le plus élevé que l’on puisse rencontrer sur terre (18 m).

Globalement simple dans ses aspects autant que dans le partage de son espace, le relief canadien est considérablement marqué par le rôle de la glace et de l’eau. Au point que ces deux éléments finissent par être autant représentatifs du pays que la légendaire feuille d’érable rougie par les premières manifestations de l’automne...

Les lacs occupent 7,5 p. 100 du territoire fédéral, c’est-à-dire une fois et demie la superficie de la France. Dans les seuls Territoires du Nord-Ouest, leur part dans la surface totale est supérieure à un tiers. Les bassins-versants des grands fleuves sont également évocateurs d’une démesure incontestable: 3 583 265 kilomètres carrés pour celui des fleuves tributaires de l’Arctique. À l’eau, omniprésente, s’ajoute la glace. Elle recouvre une petite partie des hauts reliefs de l’Ouest, mais elle caractérise bien davantage les espaces nordiques sous forme de banquise, transformant les étendues marines en surfaces assimilables à des continents durant au moins neuf mois par an. Elle matérialise à la perfection le froid qui définit la majeure partie du Canada, dont le climat est moins uniforme qu’on imagine, lui aussi.

2. Le climat et ses nuances

Blizzard, froid, neige... une trilogie souvent mentionnée à propos du climat canadien. Pourtant, il serait erroné de penser que d’autres paramètres n’existent pas; en outre, comment croire, que, sur un si grand espace, on n’ait qu’un climat et non pas des climats? L’extension en latitude comme en longitude, la présence à grande échelle d’ensembles topographiques distincts engendrent forcément une série de nuances et de contrastes.

Trois influences majeures déterminent les données du climat canadien: l’air arctique, continental durant l’hiver, maritime pendant l’été, est générateur de froid, et sa pénétration sur la majeure partie du pays est d’autant plus facile qu’aucun obstacle, à l’est des Rocheuses, n’entrave son cheminement vers le sud. On lui doit les températures les plus basses jamais enregistrées à des latitudes tempérées (face=F0019 漣 63 0C en 1947) en même temps que les vents violents occasionnant les « poudreries », équivalent glacé des tempêtes de sable sahariennes.

À l’opposé, il n’est pas rare en été de voir l’air tropical remonter vers le nord, envahir le Québec, l’Ontario et la majorité des provinces des Prairies. D’où une ambiance étouffante, humide à proximité des lacs les plus vastes et, localement, des températures avoisinant 40 0C avec une hygrométrie de 80 p. 100 (sud de l’Ontario, à la fin d’août 1985).

La troisième influence climatique essentielle provient des océans et se manifeste sur chaque rivage de manière différente. Alors que, sur le rivage du Pacifique, on est en présence d’une douceur assez marquée des masses d’air venant buter contre les montagnes qui font écran, une plus grande fraîcheur caractérise les littoraux de l’Atlantique, générée par le courant marin froid du Labrador. À l’ouest, c’est donc le climat agréable des alentours du delta du Fraser et de l’île de Vancouver, qui vaut à la région de ne pratiquement jamais connaître de chutes de neige en plaine; sur l’Atlantique, dans les provinces maritimes et le corridor laurentien, c’est au contraire le « Canada des neiges », avec une hauteur cumulée annuelle de 2 mètres en moyenne, mais surtout des chutes d’une ampleur exceptionnelle (à Moncton, Nouveau-Brunswick, il est tombé 1,61 m en vingt-quatre heures à la fin d’avril 1992).

Continentalité des provinces des Prairies, ambiance humide et douce du sud-ouest de la Colombie britannique, abondance de la neige et humidité en toute saison dans les « Maritimes » semblent personnaliser le climat des grands ensembles régionaux, à l’exclusion du Nord, à qui l’on consacrera une place spécifique. Néanmoins, au-delà de ces traits généraux surgissent des nuances à une échelle plus réduite, que l’on ne peut évoquer ici que par un petit nombre d’exemples significatifs.

Au cœur des montagnes de la Colombie britannique, la vallée de l’Okanagan est caractérisée par un déficit hydrique très accentué du fait de la continentalité: à Penticton, la ville principale, les précipitations annuelles se réduisent à 296 millimètres, et le nombre de jours avec gelée descend à 143, ce qui représente une diminution respective de quatre cinquièmes et de 30 p. 100 par rapport au littoral pacifique à la même latitude.

De l’autre côté du système montagneux, à cheval entre les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, le Dry Belt est un espace franchement aride, avec des totaux pluviométriques annuels semblables à ceux de l’Okanagan mais qui trouvent une compensation dans un moindre nombre de jours de gel que partout ailleurs dans les provinces des Prairies.

Enfin, tout à l’est du pays, en Nouvelle-Écosse, les vallées d’Annapolis et de Cornwallis associent douceur relative et humidité abondante et régulière pour favoriser la culture des pommiers et des pommes de terre, rappelant par leurs paysages bien des aspects de la Normandie.

Cependant, ces nuances, qui affectent des régions ou des « pays » en les privilégiant à l’égard du reste du territoire fédéral, ne sauraient occulter de brusques changements de temps et des caprices météorologiques bien souvent préjudiciables pour l’agriculture. En fait, on ne doit jamais oublier que la latitude tempérée fraîche du Canada méridional et l’ouverture du territoire face aux immensités nordiques peuvent faire régner partout des conditions climatiques d’autant plus rudes que leur durée accroît la pénibilité des éléments à endurer.

C’est ce qui explique que, parmi les quatre points cardinaux, le nord surpasse les trois autres tant dans les manifestations physiques que dans la perception que l’on en ressent.

3. Primauté du Nord dans la géographie canadienne

S’il est une question qu’il faut bien se garder de poser, c’est de savoir où commence le Nord au Canada... Au poète québécois Pierre Morency, qui écrit à propos de sa province: « Le Nord n’est pas dans la boussole, il est ici », répond en écho le géographe Louis-Edmond Hamelin, qui pense que « le Nord est un état mental ». En fait, qu’elle soit idéalisée ou trop pessimiste, la vision que l’on a des espaces nordiques s’applique à une étendue qui correspond à tout ce qui n’est pas la zone peuplée jouxtant la frontière étatsunienne et qui peut se résumer à une trilogie associant au climat froid la prédominance du peuplement amérindien et une population spatialement très clairsemée.

Dans les faits, le Nord est bien autre chose que le binôme territoire du Yukon-Territoires du Nord-Ouest et que les basses températeures aggravées par la longue nuit de l’hiver arctique. Contexte global aux aspects physiques, humains et économiques singuliers, le monde nordique, trop facilement assimilé à l’espace de l’Arctique, est avant tout une étendue sans arbre et, pour une part considérable, sans sol. Plus on monte en latitude, plus l’immensité glacée prend de l’ampleur, au point qu’il devient difficile d’apprécier les distances. Malgré tout, cela ne doit pas laisser croire que le relief est rigoureusement horizontal!

Dans ces vastitudes, où toute notion d’échelle semble inimaginable, une grande variété de paysages géomorphologiques s’offre au visiteur: montagnes englacées ou laissant apparaître une topographie de fjell sur l’île de Baffin, fjords au fond desquels les glaciers vêlent pour alimenter en icebergs l’océan dégelé; dans les régions centrales, en apparence plates et monotones, la surface du bouclier est criblée de lacs que séparent de belles roches moutonnées ou que relient entre eux des rivières ponctuées de rapides. Aux modelés glaciaires contemporains ou hérités s’ajoutent les manifestations des processus morphogénétiques périglaciaires: en été, vus du ciel, les milliers de kilomètres carrés recouverts par la toundra apparaissent fréquemment sous la forme d’un carrelage savamment ajusté, tant les polygones qui la caractérisent ont des formes régulières. À même le sol, là où le permafrost cède la place à une mince épaisseur dégelée, foisonnent les thufurs (buttes gazonnées), tandis que dans le delta du Mackenzie se rencontrent les plus gros pingos que l’on connaisse au monde. Celui de Ibyuk Hill est haut de 40 mètres, et sa circonférence à la base dépasse 900 mètres. Dans les secteurs où la topographie est plus accidentée, les versants réglés peuvent être interrompus par des replats goletz alors qu’à leur base les effets de la solifluxion engendrent de remarquables coulées qui se traduisent par une surface bosselée. L’absence ou la maigreur du tapis végétal favorisent la contemplation de paysages morphologiques dont le Nord est un authentique conservatoire; pourtant, ce sont bien souvent les éléments du climat qui saisissent le visiteur lorsqu’il débarque en provenance du « Sud ».

L’identification première du Nord, c’est le très bas niveau des températures hivernales que vient encore souligner leur durée, accentuée par l’impression pénible introduite par la nuit polaire. Cependant, une donnée moins connue réside dans le contraste marqué entre l’hiver et l’été. On peut être étonné par l’emploi du terme « été », mais l’expression de « climat sans été » pour décrire les hautes latitudes se révèle fausse à ceux qui ont parcouru le Nord en toutes saisons. Certes, il ne faut pas prêter à la durée du jour estival au-delà du cercle arctique plus de vertus qu’elle ne peut fournir. C’est elle néanmoins qui explique qu’à Aklavik la moyenne des températures de juillet se hisse à 13 0C, tandis que, à Holman Island sur l’île de Victoria, elle n’est plus que de 6,8 0C du fait de la latitude plus haute. Malgré tout, des confins de l’Alaska aux rivages orientaux vis-à-vis du Groenland, c’est l’hiver qui accapare l’essentiel de l’année. De Churchill à Iqaluit, de Dawson City à Cambridge Bay, c’est la même symphonie des températures très froides, des blizzards violents et durables et des faibles quantités de précipitations (136 mm/an à Resolute Bay). Ces totaux dérisoires sont, pour une part infime, le fait de pluies; la plupart du temps, les précipitations se produisent sous forme de neige non pas floconneuse, mais granuleuse.

Froid, sol gelé et toundra se combinent pour faire du domaine nordique des « terres stériles » (barren lands ); toutefois, l’aire est bien trop vaste pour pouvoir présenter une grande homogénéité de situations.

C’est la raison pour laquelle toute découverte du Nord, toute connaissance de la « chose nordique », doit s’appuyer sur la notion de nordicité. La nordicité est l’expression en un lieu donné d’une dizaine de critères, tant physiques qu’humains ou économiques, établis en Vapos (valeurs polaires). Plus le total est élevé, plus la nordicité est accentuée. Cette codification permet une appréhension progressive du fait nordique au fur et à mesure que l’on s’achemine vers les hautes latitudes. Parallèlement se distinguent plusieurs zones au sein du monde nordique. Schématiquement, on peut partager le Nord en trois ensembles:

– le Moyen Nord recouvre la partie septentrionale des provinces et constitue une sorte d’espace de transition entre le Canada peuplé et le Canada plus ou moins vide d’hommes. Il empiète, au-delà du 60e degré de latitude sur les Territoires (Yukon et Territoires du Nord-Ouest, T.N.O.) et englobe le corridor du Mackenzie;

– le Grand Nord s’identifie globalement à la zone du climat arctique et aux aires dépourvues de végétation arborée. Existe donc une corrélation avec l’ensemble toundra et surfaces de roches à nu; parallèlement, le Grand Nord inclut les rivages continentaux ou insulaires qui se trouvent libérés par les glaces marines en haute saison estivale;

– enfin, l’Extrême Nord regroupe la grande majorité des îles arctiques autour desquelles la banquise est pratiquement permanente.

À l’évidence, la notion de Nord est plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. On ne peut donc calquer l’espace nordique sur le périmètre arctique puisque ce terme s’identifie à un parallèle au-delà duquel, vers le pôle, la durée du jour est de vingt-quatre heures au solstice d’été. Le cercle polaire n’influe pas sur les conditions climatiques, et l’aire du climat arctique déborde largement au sud (partie orientale de la baie d’Hudson, par exemple). L’imprécision apparaît en définitive grande pour définir et délimiter ce qu’est le Nord. Dans le contexte du Canada, il s’agit de savoir s’il existe un Nord provincial et un Nord territorien, et s’il faut considérer le Nord continental comme un prolongement septentrional des provinces. Dans cette perspective, les îles arctiques formeraient une entité distincte. Étant donné que, par de multiples aspects, de vastes étendues nordiques continentales sont absolument identiques à des secteurs entiers des îles, on ne saisit pas très bien pourquoi l’insularité pourrait prétendre constituer l’authenticité du milieu nordique.

En définitive, c’est par ses paysages et ses genres de vie que le Nord se détermine sans doute le mieux. Assemblage de multiples types d’interrelations, entre espaces et sociétés, il déborde sur le bouclier autant que sur le système cordilléran. C’est pourquoi, par-delà un Nord moyen, grand ou extrême, existe un contexte global que l’on perçoit autant dans la nature que chez les populations. Vraisemblablement, le dénominateur commun n’est pas davantage géopolitique que climatique. Le Nord est en réalité une terre où il reste encore beaucoup à découvrir. En cela, il est typiquement canadien.

Au sein de ces immensités dont on ne sait jamais exactement où elles débutent pas plus qu’on ne voit où elles s’achèvent, le milieu naturel joue un rôle de tout premier plan. On est frappé par la masse des contrastes qui se révèlent alors que l’on est plutôt préparé à un paysage fortement homogène. Ce fait prend une signification particulière au niveau des lacs autant que des littoraux. On suppose que rien, ou presque, ne différencie les lacs, si ce n’est la taille; la réalité est tout autre même si le cas général associe aux plans d’eau une parure fournie de forêt d’épinettes (épicéas). Dans les montagnes de l’Ouest, l’originalité de chaque lac est facile à admettre, du fait des différences de géomorphologie régionale ou de position géographique: au lac Maligne, qui s’apparente à un long fjord encadré de puissantes citadelles calcaires, peuvent s’opposer les lacs Peyto et Moraine qui combinent surcreusement glaciaire et barrage morainique; alors que le lac Louise est dominé par d’imposantes parois qui rappellent le cirque de Gavarnie, le lac Bow est ourlé de cônes d’éboulis et d’avalanches qui accélèrent son comblement. Plus remarquables sont les variétés offertes par les lacs que l’on rencontre dans les autres ensembles physiques du Canada: la rive occidentale du lac Saint-Jean est calquée en partie sur la faille de Desbiens tandis que, de l’autre côté, les rivières Mistassini et Péribonka donnent au pays de Maria Chapdelaine un aspect plat à peine interrompu par quelques rapides qui débouchent sur le vaste plan d’eau. Dans l’immense Nord enfin, aucun lac ne ressemble à un autre: formes longilignes associées à des accidents tectoniques, cercles parfaits liés à la fonte tardive de culots de glace, contours tarabiscotés à quoi s’ajoute une incomparable échelle des dimensions, des lacs assimilables à des mares du Grand Lac des Esclaves qui est une authentique mer intérieure. Les littoraux sont également synonymes de contrastes: succession dense des fjords, parallèles comme seules les failles savent l’être au nord de l’Ungava, minuscules criques du rivage néo-écossais, au fond desquelles se nichent d’idylliques petits ports (Peggy’s Cove), longues plages sableuses et caillouteuses, mais sans baigneurs, des îles de l’Arctique (Starvation Cove, île Victoria). Au total, le Canada est un véritable kaléidoscope en ce qui concerne les paysages naturels. Frappante est l’opposition que l’on perçoit entre l’espace utile et l’espace utilisé. Schématiquement, l’impression prévaut que ce sous-continent se partage inéquitablement entre une mince frange méridionale et tout le reste. Tout se passerait comme si cette disproportion visait à séparer un heartland sudiste et un incommensurable hinterland nordiste. La réalité n’est pas conforme à cette image, car il n’y a pas opposition mais très forte complémentarité entre ces deux parties du pays. S’il est vrai que le Sud rassemble population, villes, activités économiques (ce qui d’ailleurs n’apparaît pas sous forme continue de l’est à l’ouest), le « Nord » est loin d’être aussi vide et inutile qu’il le semble. Le bouclier nous en fournit la preuve: à sa surface assez monotone de lacs, de roches moutonnées, de toundra s’opposent des profondeurs qui sont autant de gisements minéraux aux réserves impressionnantes. Les sept mines d’or autour de Yellowknife ont une réserve d’extraction qui dépasse deux siècles; au rythme actuel d’exploitation, le gisement pétrolier de Norman Wells possède cent-vingt ans d’existence devant lui. Que dire enfin de cette immense forêt hudsonienne, bien mal entretenue par rapport aux forêts domaniales françaises, mais dont la réserve ligneuse dépasse un millénaire si l’abattage se poursuit à la cadence actuelle?

Espace utile, espace utilisé et espace en réserve agissent en sorte au Canada que les apparences sont particulièrement trompeuses. Errent ceux qui croient qu’au-delà de quelques degrés de latitude vers le nord tout s’arrête; en réalité, tout se poursuit, mais autrement!

Richement doté par sa nature en dépit de conditions naturelles que l’on peut considérer comme inhospitalières, le Canada, terre de grandeur, est également une terre d’espérance. Pays neuf, où l’on a parfois une impression d’inachèvement, c’est aussi un remarquable champ d’expériences, un fantastique laboratoire pour le géographe qui y voit et qui y vit comment les hommes, venus d’ailleurs, peuvent aménager l’espace et y façonner un paysage que très tôt certaines composantes ont permis d’immortaliser.

4. Forêts et prairies

La forêt boréale et la zone subarctique

La forêt boréale (souvent appelée « forêt canadienne ») constitue la végétation typique du pays, dont elle reflète la devise: « A mari usque ad mare ». Haute et dense, elle est dominée par les épinettes (Picea ) et les sapins (Abies ), sous lesquels poussent peu de plantes ligneuses – quelques sorbiers, cornouillers, vergnes, bleuets (airelles) –, des plantes herbacées en touffes dispersées et un tapis continu de mousses (Hypnum , Pleurozium , Hylocomium ). Les bassins fermés constituent des tourbières. Ce paysage constitue le « muskeg ».

Plus au nord, dans la zone subarctique, les tourbières occupent un espace de plus en plus vaste. Sur les terres bien drainées, les arbres forment plutôt un parc ou une savane, qui contraste avec la forêt boréale. Les épinettes, sapins et pins gris sont isolés ou forment des médaillons ou des bosquets entre lesquels un fourré bas et de larges plaques de lichens occupent les espaces bien dégagés.

L’orignal (élan d’Amérique), le castor, le lynx, l’ours noir, l’écureuil roux, la « bête-puante », le siffleux (marmotte), le geai du Canada sont des animaux typiques de la forêt boréale. Ce sont le caribou, le carcajou, le loup, le lagopède qui caractérisent la savane subarctique. Dans les deux zones, les insectes pullulent, les moustiques notamment.

La toundra

Les limites souvent indécises du subarctique et de la toundra sont marquées par la baisse concomitante des températures et des précipitations, la continuité et la profondeur du pergélisol qui rendent impossible la croissance des arbres, bien que plusieurs espèces y persistent à l’état rabougri. Au-delà du timberline , on rencontre des espèces naines ou rampantes de bouleaux, de saules, d’Ericacées; des tapis de camarine et des coussins de silène acaule, de Diapensia. Cette toundra, parfois assez dense, se réfugie souvent dans les interstices du felsenmeer, découpé par l’érosion en vastes dalles tapissées de lichens et bordées de mousses. Ailleurs, lorsque le drainage est déficient, c’est plutôt une pelouse rase de laîches, de rouches et de joncs qui prédomine.

La toundra est le domaine du bœuf musqué, du caribou arctique, de l’ours polaire, et dans les mers vivent de vastes troupeaux de phoques; les lemmings, minuscules rongeurs, sont la nourriture de l’hermine, du renard arctique et même du loup (qui préfère le caribou). Le cas des oiseaux est plus remarquable: outre les populations résidentes de manchots (exterminés au siècle dernier) et de lagopèdes, des millions de canards et d’oies viennent se reproduire dans l’Arctique, de même que de nombreux passereaux, des échassiers, ainsi que le hibou des neiges.

Zones alpines

La végétation des zones alpines des Rocheuses et des hauts sommets laurentiens et appalachiens ressemble beaucoup, surtout au voisinage des glaciers, à la toundra arctique. Elle bénéficie toutefois de températures plus variables, de pluies plus abondantes et de sols généralement plus profonds. Dans les Rocheuses, les pelouses sont souvent des prairies.

Le mouflon, la chèvre de montagne y remplacent le bœuf musqué et le caribou.

Les forêts du Pacifique

Les forêts pacifiques, où dominent les conifères sempervirents, conservent une allure boréale: vers le nord, l’épinette de Sitka, le sapin de Douglas et, vers le sud surtout, la pruche (Tsuga heterophylla ) et le thuya (Thuja plicata ). La forte humidité de l’atmosphère favorise une végétation sempervirente d’arbustes latifoliés comme le shallon (Gaultheria shallon ), l’épine-vinette (Mahonia ), de fougères comme le Polystichum munitum , qu’accompagnent, sur le sol et les troncs d’arbres, des mousses épiphytes et de gros lichens foliacés.

Le puma (ou lion de montagne), qui autrefois peuplait, comme d’ailleurs le wapiti (cerf du Canada), tout le Canada boréal, trouve refuge dans ces forêts.

Les prairies

Les prairies canadiennes ne sont ni assez chaudes ni assez humides pour atteindre la luxuriance de la tall-grass , prairie de l’Illinois et de l’Iowa. Les Stipa , Agropyron et Festuca y dominent; les lupins et les pulsatilles, tout comme diverses Composées, y jouent un rôle saisonnier. Les cours d’eau sont bordés de peupliers et de saules.

Le bison, en quantité innombrable, parcourait jadis la prairie, la réduisant périodiquement à l’état de steppe. L’antilope s’y montrait aussi, et les spermophiles (gophers ) contribuaient au rajeunissement des sols en creusant leurs terriers. La poule de prairie, les alouettes, le gros-bec doré y séjournent en permanence, tandis que les grèbes, les canards et les oies en migration y trouvent une nourriture abondante.

La forêt décidue

Un vaste croissant de tremblaie forme un parc semblable à celui qui, en Russie, assure la transition entre la forêt sibérienne et la steppe. À l’est, la forêt boréale rejoint la forêt décidue (ou forêt à feuilles caduques). La péninsule de Niagara et le sud-ouest de l’Ontario, de même que les basses terres du Saint-Laurent sont occupés par l’érablière laurentienne, forêt à rythme saisonnier très marqué: la phase printanière comporte une vague de plantes héliophiles à bulbes ou à rhizomes dont les fleurs et les feuilles éclosent avant la feuillaison de la strate arborescente (érable à sucre, hêtre, chêne rouge, tilleul, cerisier d’automne). À ces plantes printanières, devenues « dormantes », succède une strate herbacée estivale plus haute et plus éparse. Les cours d’eau sont bordés d’une riche forêt alluviale qui occupe toute la plaine (orme, érable rouge et argenté, frêne noir, saule noir) avec, en sous-bois, une strate herbacée luxuriante de fougères et de rares graminées. Les marécages de quenouille, de calamagrostide et d’herbe-à-liens, les fourrés d’aulnes et de cornouillers sont fréquents, ainsi que de vastes tourbières, souvent superficielles (blanket-bogs ). Sur les crêtes exposées et les régions sableuses très perméables poussent des forêts de pins blancs et, parfois, de pins rouges.

L’érablière est le séjour préféré du chevreuil (cerf de Virginie); on y rencontre aussi le raton laveur (Procyon lotor ), l’écureuil gris, le renard roux, la perdrix (gélinotte à fraise), le geai bleu.

Sur les contreforts et les montagnes, voisins de la forêt boréale, les bois-francs nordiques remplacent l’érablière laurentienne dont ils diffèrent surtout par l’abondance de la pruche (Tsuga canadensis ) et du bouleau jaune, ainsi que par la persistance du pin blanc. L’if du Canada, petit conifère rampant forme une strate inférieure. Les pinèdes sont plus stables, les tourbières plus nombreuses, tandis que les forêts inondées et les marais se raréfient.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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